A l’issue des dernières élections européennes, un nouvelle formation politique a fait son entrée dans l’hémicycle de Strasbourg : le Parti Pirate. Né en Suède, celui-ci a recueilli plus de 7% des voix lors du scrutin et a même réussi à faire élire deux députés européens. Leur doctrine, selon le site officiel : “Nous sommes de simples citoyens du monde entier, que l’on traite de “pirates” parce qu’ils défendent le partage de la culture et de l’information. Cet accès libre et égal pour tous, la technologie le permet : seuls nous en séparent aujourd’hui quelques intérêts privés, commerciaux ou politiques. ” Autrement dit, le parti pirate combat farouchement la propriété intellectuelle. Et je partage certaines de leurs vues sur la question.
A l’ère numérique, notre arsenal législatif sur propriété intellectuelle, en l’état, est totalement obsolète. Je dirais même qu’il est une entrave scandaleuse au partage du savoir et à la libre circulation des idées. Au nom de la propriété intellectuelle, les pays du tiers-monde ne peuvent accéder au progrès scientifique et à quantité de médicaments protégés par les brevets que déposent les grands groupes pharmaceutiques. Au nom de la propriété intellectuelle, des œuvres culturelles majeures, plongent dans l’oubli, voient leur diffusion restreinte pour une durée interminable, même après le décès de leur auteur.
La durée d’exercice du droit de la propriété intellectuelle se prolonge en effet durant les 70 années qui suivent cet événement, au bénéfice des ayants-droits (famille, …). Délais que les Etats-Unis, sous l’influence du lobby des majors et notablement de la Disney Company, ont prolongés déraisonnablement lors du Mickey Mouse Protection Act. A cause de celui-ci aucune oeuvre postérieure à 1923 ne tombera dans le domaine public avant 2019. Voila probablement le plus grand hold-up de l’histoire de l’humanité. Un hold-up en col blanc, commis dans le silence complice des juristes, et de l’Union européenne. Une véritable spoliation de la production intellectuelle humaine, incompréhensible dans notre époque de grande fertité créative, en pleine accélération des échanges provoqué par la révolution Internet.
Bref, il est temps de revoir notre législation sur la propriété intellectuelle par de nouveaux dispositifs plus adaptés à l’ère digitale dans laquelle nous sommes à présent entré de plain-pied. Mais quels sont les modèles alternatifs possibles ?
La première piste est celle de Creative Commons. Inspiré l’esprit des licences GNU (Free Software Foundation) qui ont contribué à l’essor du logiciel libre, ce système juridique permet aux titulaires de droits d’autoriser certaines utilisations bien déterminées, tout en ayant la possibilité de réserver les exploitations commerciales, les œuvres dérivées ou le degré de liberté. Les Creative Commons peuvent s’appliquer à n’importe quel type de création : texte, son, image, site web… Les Creative Commons ont d’ailleurs été transposés en Belgique sous l’impulsion du CRID (Centre de Recherche Informatique et Droit) des Facultés universitaires de Namur.
Une deuxième approche est celle de Google. Comme vous le savez, l’entreprise de Moutain View s’est lancée dans la numérisation massive des bibliothèques avec son programme Google Books. Mais comment Google fait-il pour gérer la question des droits d’auteur pour chacun des millions de livres qui passent sous ses scanners ? La réponse est simple : tant qu’un ayant-droit ne se manifeste pas, Google continue son processus de numérisation et de mise à disposition du contenu sur le Net. Bien entendu, les éditeurs hurlent. Les auteurs aussi. Ce « modus operandi » a déjà valu à Google plusieurs condamnations en justice… Mais peut-on raisonnablement empêcher l’humanité entière d’accéder librement au savoir sous couvert du respect du droit d’auteur et de la protection de quelques intérêts particuliers ? Difficile d’affirmer que cette situation est soutenable à long terme.
Comme le soulignait le Prix Nobel d’Economie Paul Krugman dans le colonnes du New York Times en 2006 : « Bit by bit, everything that can be digitized will be digitized, making intellectual property ever easier to copy and ever harder to sell for more than a nominal price. And we’ll have to find business and economic models that take this reality into account. It won’t all happen immediately. But in the long run, we are all the Grateful Dead. »
See also :
EN grande partie d’accord avec ton billet.
Deux commentaires : je serais plus virulent que toi sur les fortunes indues que génère le copyright de nos jours. C’est non seulement désuet mais insultant pour les “créatifs”. Si on appliquait le copyright a toute la production manuelle ou intellectuelle, l’économie serait a l’arret. Imagine que tu doives appliquer le copyright aux visuels que produisent tes employés !
Il est anachronique que seuls des “happy few” (rappeurs, producteurs dont celui que tu cites ) bénéficient en réalité du copyright, qui n’a plus grand chose a voir avec la rémun des artistes. De plus sa segmentation actuelle (il est de facto limité a l’entertainment) n’a jamais eu de sens à mes yeux.
D’autre part, la fin de ton article sous entend que google a pour vocation de faire partager la connaissance (pour faire du blé bien sûr). Pourquoi -maintenant- me parait une question intéressante.
Constatent-ils l’apauvrissement de l’internet depuis environ 5 ans ? (émergence de réseau fermés, pullulation de contenu sans intéret). Le seul contenu “autoritatif” de toute recherche google est devenu wikipedia, ou presque. Symptomatique de cet apauvrissement du contenu ; Wikipedia peine de plus en plus a “sourcer” ces propres articles – ne pouvant évidemment se citer lui même.
Je pense qu’ils sont en train de numériser du nouveau contenu “relevant” car ils sont arrivés à court de ce que le web de 2010 a à offrir.
Ceci etant, je trouve utile qu’on ressuscite de vieilles éditions. Donner une seconde vie a des livres – en particulier scientifiques – qui n’ont plus aucune vie en librairie, est tout a fait génial. Je ne comprend pas l’opposition de certains. Mais de la a dire que google nous veut du bien, il y a un pas que je ne franchirai pas. Et merci d’avoir lu jusqu’au bout, bise au chat.