Génétique : en route vers l’immortalité

Depuis les balbutiements du “projet génome humain”, ambitieuse entreprise de séquençage complet de notre ADN entamée en 1990, la génétique n’a cessé de faire de considérables progrès. Ces vingt dernières années ont vu l’avènement de nouvelles techniques, comme CRISPR ou TALEN, permettant d’éditer notre code génétique avec de plus en plus de simplicité et de précision. Et si demain, la science nous permettait d’approcher d’un peu plus près le fantasme de l’être humain éternel, plus fort, plus malin, et jamais malade ? De la science-fiction, vous dites ? Pas si sûr…

Si vous suivez de près l’actualité scientifique, vous avez certainement déjà entendu parler de 23andMe. Fondée en 2006, l’entreprise basée à Mountain View, en Californie, tire son nom des 23 paires de chromosomes qu’on trouve normalement dans une cellule humaine. Elle fait partie de ces nombreuses sociétés qui proposent à tout individu le souhaitant de dresser son profil génétique, en échange de quelques dollars et d’un peu de salive. Et ça cartonne : des centaines de milliers de personnes ont ainsi soumis volontairement leur ADN à ces sociétés privées, avec l’espoir de dépister prématurément de risques de maladies dangereuses, voire mortelles.

Mais derrière cette apparente bienveillance se cache en réalité une autre raison d’être : la collecte d’informations, nerf de la guerre de notre XXIe siècle. L’ambition de 23andMe sur le long terme (et la société ne s’en cache pas) est de devenir le « Google du soin de santé personnalisé ». Un dessein qui n’est finalement pas si surprenant, quand on sait qu’on retrouve à la tête de l’entreprise une certaine Anne Wojcicki, épouse de Sergei Brin, fondateur du célèbre moteur de recherche. À l’heure où j’écris ces lignes, 23andMe possède déjà les informations génétiques d’un demi-million de personnes. Et ce chiffre devrait doubler d’ici la fin de l’année…

Montre-moi ton ADN, je te dirai de quoi tu vas mourir

Outre une réelle et sincère volonté de faire avancer la recherche médicale, en utilisant ces données génétiques pour tenter par exemple de découvrir le rôle de certains gènes dans le développement de maladies comme Parkinson ou certains types de cancers, on entrevoit assez facilement les dérives possibles d’un tel fichage. Une véritable aubaine pour les toutes puissantes compagnies d’assurances, qui seraient désormais en mesure de cibler leur communication, leurs produits, ou pire, en mesure de refuser de couvrir certaines personnes jugées à risque.

Mais tâchons un instant d’observer cette révolution sous un œil plus optimiste. Imaginez ce que l’on pourrait faire, dans un futur pas si éloigné, en croisant ces informations génétiques, avec nos données de santé (comme celles récoltées par le HealthKit d’Apple) et les informations comportementales dont dispose Google à notre sujet, au travers de nos habitudes de surf. Avec les possibilités de calcul disponibles aujourd’hui, notamment via de puissants outils d’apprentissage automatique(“machine learning”) comme TensorFlow, rien ne nous empêcherait désormais de croiser ces différentes sources de données pour y découvrir des associations insoupçonnées de séquences signifiantes dans notre ADN, et d’en déduire les conséquences potentielles. Il deviendrait alors particulièrement aisé de dépister maladies et défauts du corps humain, et de prolonger ainsi la longévité de l’espèce. Et pourquoi s’arrêter là ? On pourrait également faire émerger de ces masses de données des indicateurs de faiblesses et de talents, ou des indices de tendances comportementales. En avril dernier, un hôpital américain de San Diego s’est ainsi servi d’un logiciel utilisant l’IA (Moon, développé en Belgique) pour diagnostiquer avec succèsdes maladies génétiques rares chez des enfants, le tout en quelques minutes, contre plusieurs heures ou semaines quand ces analyses sont réalisées manuellement.

Ainsi naquit Cornélius…

Passé l’étape du diagnostic, la phase suivante consiste forcément au passage de la lecture passive de notre ADN (détection) à celle de l’édition. L’année dernière, en Chine, des chercheurs ont implanté à onze macaques rhésus (les plus proches de l’être humain d’un point de vue génétique) des versions humaines du gène MCPH1, gène qui jouerait a priori un rôle important dans le développement du cerveau. Dans les résultats de leur étude, parus dans le Bejing National Science Review, les scientifiques font un constat étonnant : après un temps de développement plus long que ce qu’on constate généralement chez cette espèce, les singes “édités” se sont avérés plus performants dans des tests impliquant la mémoire à court terme, et présentaient de manière globale un meilleur temps de réaction comparé à leurs congénères vivant dans la nature. Instinctivement, la première chose qui vient à l’esprit en lisant les résultats de cette expérience, c’est l’expérience que décrivait Pierre Boulle en 1963, dans son roman La Planète des Singes. Et si, en lieu et place de robots, la prochaine étape de la révolution industrielle entamée au XIXe siècle voyait des animaux génétiquement modifiés nous remplacer sur les lignes d’assemblage ?

Hack the humans !

Comme l’explique l’auteure Yuval Noah Harari, spécialiste des questions d’évolution de notre espèce, dans une interview accordée au magazine américain Wired, ces possibilités d’édition ne concernent pas que les animaux, et nous entrons désormais dans l’ère de ce qu’elle nomme « l’humain “hackable” ». C’est à dire, le résultat du croisement entre intelligence artificielle et savoir biologique, et la possibilité de concevoir des algorithmes capables de mieux nous comprendre que nous-mêmes, et donc de nous manipuler, de nous améliorer, voire à terme de nous remplacer.

Exemple concret : l’année dernière, un autre chercheur chinois, du nom de He Jiankui, a défrayé la chronique en annonçant la naissance des premiers bébés édités génétiquement(grâce à la technologie CRISPR), des jumelles augmentées du gène CCR5, offrant a priori une immunité à certaines formes du VIH, le virus responsable du sida. Et comme cette édition s’est faite au stade embryonnaire, cela signifie qu’elle se propagera sur les générations suivantes, entraînant de facto une mutation au long cours. Une expérience fortement dénoncée par la profession et les autorités scientifiques, mais qui augure également des possibilités d’amélioration de l’espèce qu’offriront dans un avenir proche ces différentes techniques d’édition du génome. Une avancée scientifique qui ne se fera pas sans une complète réévaluation de nos balises philosophiques.

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