Le jeu vidéo, pilier incontournable de notre culture

« Espèce de sans skin ! » Cette insulte a priori nébuleuse pour le commun des mortels connaît néanmoins un succès grandissant depuis quelques mois dans les cours de récréation. Trouvant son origine dans le jeu Fortnite, un titre de « Battle Royale » édité par Epic Games et particulièrement en vogue chez les adolescents, elle s’utilise avant tout pour qualifier quelqu’un de novice ou sans ressource. Vous l’ignoriez ? C’est fâcheux. Car cette expression offensante et opaque n’est pas une occurrence isolée : de plus en plus, les codes du jeu vidéo s’immiscent dans notre culture populaire et, par extension, dans nos relations sociales. Raison de plus pour lui accorder toute l’importance culturelle qu’il mérite.

Contrairement à ce que l’on peut souvent lire dans la presse, même spécialisée, l’importance du jeu vidéo dans notre société ne date pas d’hier. Ce qui a pris du temps, en revanche, c’est son accession à une légitimité dont jouissent depuis toujours films, musique et littérature. Une « normalité » qui s’est accélérée ces dix dernières années, période durant laquelle on a notamment vu le jeu vidéo s’installer dans nos musées (comme le World Video Game Hall of Fame du National Museum of Play de Rochester, New York), au même titre que d’autres œuvres culturelles plus traditionnelles. Mais alors, pourquoi le jeu vidéo, pourtant né dans les années 70, a-t-il mis autant de temps à acquérir ses lettres de noblesse culturelle ?

À la niche !

Pendant les deux décennies qui ont précédé leur massification, des années 70 à 90 environ, les jeux vidéo étaient avant tout perçus comme un hobby de niche, apparenté à une sous-culture connotée assez péjorativement. Une marginalisation qui ne les a pas empêchés, déjà à l’époque, d’attirer ponctuellement l’attention des médias grand public. Outre le phénomène Pong en 1972, ou celui suscité par Pac-Man en 1980, on retrouve des traces de jeu vidéo dans d’autres objets culturels bien avant son accession au podium des loisirs de masse. En 1978, par exemple, l’album éponyme du groupe de « synthpop » japonais Yellow Magic Orchestra échantillonnait allègrement les sons du Space Invaders de Taito. Ce qui n’empêche pas le jeu vidéo de demeurer, pendant ces vingt premières années, un loisir principalement réservé aux jeunes garçons, biais renforcé par un marketing allant exclusivement dans ce sens.

C’est au début des années 90 que le mouvement de popularisation va s’amplifier. Principalement grâce à l’apparition des consoles de salon, puis des téléphones mobiles, combinée à une volonté des éditeurs d’élargir le public cible en proposant de nouveaux genres de jeux (les « casual games » notamment). Deux éléments qui vont permettre au jeu vidéo de sortir progressivement du ghetto des salles d’arcade. C’est également à cette époque que le cinéma va commencer à s’intéresser au phénomène. D’abord, via des adaptations de franchises ludiques en longs métrages souvent discutables (on pense au Super Mario Bros. de 1993, première incursion du septième art dans le monde des pixels). Ensuite, par de nombreuses tentatives de fusion des genres, symbolisées par l’émergence durant la même période des premiers films interactifs, puis plus récemment, des Machinimas, des films et séries animées créés avec les moteurs de jeux vidéo. L’émancipation s’accentuera encore avec l’apparition des premières chaînes de télévision entièrement consacrées au jeu vidéo (comme Game One en France en 1998 et G4 aux États-Unis en 2002), et la prolifération de magazines dédiés (comme JoystickTilt ou Génération 4, pour ne citer que les plus connus).

Des pixels pour tous

Aujourd’hui, grâce à une volonté proactive des éditeurs d’ouvrir le média à d’autres couches de la population, le jeu vidéo fait désormais partie intégrante de notre quotidien. En 2011 déjà, une étude menée par NPD révélait que 91% des enfants américains entre 2 et 17 ans pouvaient être assimilés à des « gamers ». Un chiffre qui n’a cessé de croître depuis. Toujours selon NPD, via une étude de 2018 cette fois-ci, on apprend que 67% des Américains s’adonnent régulièrement au jeu vidéo, dont une bonne moitié sur plusieurs plateformes. Ce loisir autrefois réservé à une niche restreinte touche aujourd’hui une majorité d’aficionados, avec une quasi-parité entre hommes et femmes. Il n’est dès lors pas surprenant de voir que le média a pris une place de plus en plus prépondérante dans notre culture populaire. Une importance qui n’est pas sans incidence…

L’influence de la « pop culture » sur notre société n’est pas un phénomène récent, et de nombreuses études menées depuis le milieu des années 70, à l’aube des médias interactifs, l’ont largement documentée. Elle façonne les esprits, influence nos pensées, et de manière générale, c’est par son biais que s’écrit notre Histoire. Dans le cas du jeu vidéo, cette importance se voit en outre amplifiée par le côté participatif du média. On n’est plus simplement spectateur passif, comme c’est le cas avec un film ou un bouquin, on est désormais acteur engagé, participant, un statut qui renforce encore l’importance des messages véhiculés et facilite leur assimilation. D’où leur portée non négligeable sur le modelage de nos civilisations.

« Ne fais pas le Bambi ! »

La culture populaire, y compris celle alimentée par le jeu vidéo, nourrit nos rapports sociaux, régit nos comportements et nos interactions, et permet également de nous valoriser dans la société. L’ignorer aujourd’hui serait une erreur. Pire, en priver nos enfants sous des prétextes fallacieux (« les jeux vidéo, ça rend idiot », « fais plutôt du sport ») risque à terme de les isoler de leurs pairs. Dorénavant, notre curiosité culturelle ne doit plus se limiter aux seuls médias traditionnels, comme le cinéma, la littérature ou la musique. Si l’on ne veut pas subir une déconnexion avec la « pop culture » contemporaine, il est désormais primordial de garder un œil sur ce qui se passe du côté des loisirs vidéoludiques. Un intérêt qui vous permettra en outre de comprendre que lorsqu’un joueur en ligne vous qualifie de Bambi, il n’est peut-être pas en train de vous traiter de faon orphelin. Il est plus probable qu’il commente en réalité votre tendance suicidaire à gambader innocemment sur le terrain de jeu.

Les gadgets surprenants du CES 2020

Chaque année, le CES (Consumer Electronics Show) offre la possibilité aux entreprises de la tech de venir poser leur stand à Las Vegas pour y présenter leur vision du futur. Entre prototypes des produits révolutionnaires de demain et nouvelles technologies qui ambitionnent de changer nos vies, le salon est également l’occasion pour le public de découvrir moult gadgets à l’intérêt parfois beaucoup plus… discutable ! Petite sélection de ces produits insolites et étranges…

Sero, la télé qui tourne

Elle tourne, elle tourne.

C’était inévitable : sans doute lassés de réprimander sans succès les hérétiques qui filment leurs vacances en tenant leur téléphone à la verticale, les ingénieurs de Samsung ont décidé de prendre le problème dans l’autre sens. Littéralement. Avec Sero, plus besoin de regarder ces vidéos avec de disgracieuses barres noires sur les côtés. Cette nouvelle télévision du géant coréen peut en effet tourner sur son axe et vous offrir une vision optimale, à la verticale, des dernières “stories” de vos amis sur Instagram ou TikTok. L’appareil peut en outre s’appairer avec votre téléphone mobile, qu’il tourne sous iOS ou Android, et pivote en quelques secondes pour s’adapter au format souhaité. C’est bien joli tout ça, mais moi, on m’avait promis des voitures volantes, et j’attends toujours.

Rollbot, le distributeur de papier toilette mobile

Ça nous est déjà tous arrivé : pressé par un soudain besoin naturel, on s’enferme précipitamment dans les toilettes, réalisant un peu tard que le salvateur rouleau de papier toilette n’est plus qu’un triste morceau de carton désespérément vide. Si vous faites partie de ces gens qui rechignent à appeler à l’aide dans ce genre de situation inconfortable, sachez qu’il existe désormais une solution miraculeuse : le Rollbot. Arborant une tête d’ours, ce robot n’a qu’une seule mission : vous sauver la mise en vous réapprovisionnant illico en précieux papier, et ce grâce à une application mobile dédiée. Une raison supplémentaire d’emporter votre téléphone portable au petit coin.

Les tatouages temporaires de PrinkerLes tatouages temporaires de Prinker

Si vous avez toujours été jaloux des tatouages de vos amis, mais que la vue d’une aiguille vous fait tourner de l’oeil, la startup coréenne Prinker a pensé à vous. Grâce à son imprimante portable, sobrement baptisée Prinker S, vous pouvez désormais affubler votre peau de jolis designs, sans avoir à serrer les dents pendant d’interminables minutes de torture. Sélectionnez un design parmi ceux proposés, ou créez votre propre illustration, faites glisser l’appareil sur l’endroit souhaité… et c’est tout ! Grâce à une encre spéciale, disponible en version “noire” ou “couleurs”, vous pourrez désormais vous graver le nom de votre tendre moitié sur le torse. Et si jamais elle décidait de vous quitter, point d’angoisse : ces tatouages disparaissent naturellement au bout de quelques jours.

Moxie, les pommeaux de touche à enceintes connectées

On connaissait déjà les enceintes Bluetooth étanches, pour profiter sous la douche des derniers tubes à la mode. Kohler a décidé de pousser le concept un cran plus loin en proposant carrément un pommeau de douche qui intègre directement un haut-parleur rechargeable en son centre.

La marque américaine fournit également une version de son pommeau embarquant l’assistant vocal Alexa d’Amazon. Pratique pour faire sa playlist sans avoir à triturer des boutons difficiles à discerner quand on a du savon dans les yeux.

Se brosser les dents en 10 secondes avec la Y-Brush

Si vous êtes du genre pressé, et que vous brosser les dents représente une corvée chronophage, la Y-Brush de la société française FasTeesH vous permet de vous départir de cette tâche en dix secondes chrono. Grâce à une technologie basée sur des infrasons, il n’est plus nécessaire de balader la brosse sur toute votre dentition. Il suffit de glisser l’appareil dans votre bouche et de le “machouiller” pendant cinq secondes pour le haut, puis cinq secondes supplémentaires pour le bas, et magie ! En un temps record, vos dents sont propres et votre haleine fraîche. Cerise sur le gâteau : la Y-Brush ne requiert pas de dentifrice particulier pour fonctionner, vous pourrez donc continuer à utiliser votre marque préférée. Elle est pas belle la vie ?

URGONight, le bandeau qui promet des nuits plus douces

L’insomnie chronique est malheureusement devenue un des fléaux prépondérants de notre époque. La faute au stress, à l’omniprésence des écrans, ou encore à une mauvaise hygiène de vie. Pour vous permettre de mieux dormir, les ingénieurs français d’URGONight lancent sur le marché un bandeau à s’enfiler sur le crâne et dont l’objectif est d’entraîner votre cerveau à mieux faire dodo. Grâce à de petits exercices à pratiquer régulièrement (les concepteurs préconisent des sessions de vingt minutes par jour, trois jours par semaine), et l’analyse de votre encéphalogramme, l’appareil va dompter votre matière grise et vous permettre à terme de rejoindre plus rapidement les bras de Morphée. De quoi séduire sans doute les “geeks” jusqu’ici insensibles aux charmes de la méditation classique.

MarsCat, le chat-robot pour les gens qui n’aiment pas les animaux

Quoi de plus triste que d’aimer les chats, mais de ne pouvoir en adopter à cause de vilaines allergies. Heureusement, grâce à Elephant Robotics, vous pouvez désormais profiter de la présence d’un petit compagnon félin sans avoir à souffrir d’incessantes crises d’éternuement. Le MarsCat est un petit chat-robot tout mignon, imitant le comportement d’un vrai matou. Technologie oblige, on peut même choisir son tempérament en fonction de ses envies : énergique ou paresseux, sociable ou timide, c’est vous qui décidez. Et en plus, il ne perd pas ses poils. Certes, ce cyberchat vous coutera sans conteste plus cher qu’une dose quotidienne de Claritin. Mais au moins, vous ne risquez pas de retrouver votre canapé en miettes.

Maintenant qu’on a bien ri avec ces improbables gadgets, soyons honnêtes un instant : au final, il est fort peu probable que ces appareils marqueront nos vies de manière significative. Leur destin sera plutôt de finir au fond de la poubelle à recyclage, avec les autres objets futiles dont on nous abreuve en permanence. Et chez Emakina, la tech qu’on aime, c’est plutôt celle qui innove pour améliorer la vie des utilisateurs et rendre le monde meilleur.

Génétique : en route vers l’immortalité

Depuis les balbutiements du “projet génome humain”, ambitieuse entreprise de séquençage complet de notre ADN entamée en 1990, la génétique n’a cessé de faire de considérables progrès. Ces vingt dernières années ont vu l’avènement de nouvelles techniques, comme CRISPR ou TALEN, permettant d’éditer notre code génétique avec de plus en plus de simplicité et de précision. Et si demain, la science nous permettait d’approcher d’un peu plus près le fantasme de l’être humain éternel, plus fort, plus malin, et jamais malade ? De la science-fiction, vous dites ? Pas si sûr…

Si vous suivez de près l’actualité scientifique, vous avez certainement déjà entendu parler de 23andMe. Fondée en 2006, l’entreprise basée à Mountain View, en Californie, tire son nom des 23 paires de chromosomes qu’on trouve normalement dans une cellule humaine. Elle fait partie de ces nombreuses sociétés qui proposent à tout individu le souhaitant de dresser son profil génétique, en échange de quelques dollars et d’un peu de salive. Et ça cartonne : des centaines de milliers de personnes ont ainsi soumis volontairement leur ADN à ces sociétés privées, avec l’espoir de dépister prématurément de risques de maladies dangereuses, voire mortelles.

Mais derrière cette apparente bienveillance se cache en réalité une autre raison d’être : la collecte d’informations, nerf de la guerre de notre XXIe siècle. L’ambition de 23andMe sur le long terme (et la société ne s’en cache pas) est de devenir le « Google du soin de santé personnalisé ». Un dessein qui n’est finalement pas si surprenant, quand on sait qu’on retrouve à la tête de l’entreprise une certaine Anne Wojcicki, épouse de Sergei Brin, fondateur du célèbre moteur de recherche. À l’heure où j’écris ces lignes, 23andMe possède déjà les informations génétiques d’un demi-million de personnes. Et ce chiffre devrait doubler d’ici la fin de l’année…

Montre-moi ton ADN, je te dirai de quoi tu vas mourir

Outre une réelle et sincère volonté de faire avancer la recherche médicale, en utilisant ces données génétiques pour tenter par exemple de découvrir le rôle de certains gènes dans le développement de maladies comme Parkinson ou certains types de cancers, on entrevoit assez facilement les dérives possibles d’un tel fichage. Une véritable aubaine pour les toutes puissantes compagnies d’assurances, qui seraient désormais en mesure de cibler leur communication, leurs produits, ou pire, en mesure de refuser de couvrir certaines personnes jugées à risque.

Mais tâchons un instant d’observer cette révolution sous un œil plus optimiste. Imaginez ce que l’on pourrait faire, dans un futur pas si éloigné, en croisant ces informations génétiques, avec nos données de santé (comme celles récoltées par le HealthKit d’Apple) et les informations comportementales dont dispose Google à notre sujet, au travers de nos habitudes de surf. Avec les possibilités de calcul disponibles aujourd’hui, notamment via de puissants outils d’apprentissage automatique(“machine learning”) comme TensorFlow, rien ne nous empêcherait désormais de croiser ces différentes sources de données pour y découvrir des associations insoupçonnées de séquences signifiantes dans notre ADN, et d’en déduire les conséquences potentielles. Il deviendrait alors particulièrement aisé de dépister maladies et défauts du corps humain, et de prolonger ainsi la longévité de l’espèce. Et pourquoi s’arrêter là ? On pourrait également faire émerger de ces masses de données des indicateurs de faiblesses et de talents, ou des indices de tendances comportementales. En avril dernier, un hôpital américain de San Diego s’est ainsi servi d’un logiciel utilisant l’IA (Moon, développé en Belgique) pour diagnostiquer avec succèsdes maladies génétiques rares chez des enfants, le tout en quelques minutes, contre plusieurs heures ou semaines quand ces analyses sont réalisées manuellement.

Ainsi naquit Cornélius…

Passé l’étape du diagnostic, la phase suivante consiste forcément au passage de la lecture passive de notre ADN (détection) à celle de l’édition. L’année dernière, en Chine, des chercheurs ont implanté à onze macaques rhésus (les plus proches de l’être humain d’un point de vue génétique) des versions humaines du gène MCPH1, gène qui jouerait a priori un rôle important dans le développement du cerveau. Dans les résultats de leur étude, parus dans le Bejing National Science Review, les scientifiques font un constat étonnant : après un temps de développement plus long que ce qu’on constate généralement chez cette espèce, les singes “édités” se sont avérés plus performants dans des tests impliquant la mémoire à court terme, et présentaient de manière globale un meilleur temps de réaction comparé à leurs congénères vivant dans la nature. Instinctivement, la première chose qui vient à l’esprit en lisant les résultats de cette expérience, c’est l’expérience que décrivait Pierre Boulle en 1963, dans son roman La Planète des Singes. Et si, en lieu et place de robots, la prochaine étape de la révolution industrielle entamée au XIXe siècle voyait des animaux génétiquement modifiés nous remplacer sur les lignes d’assemblage ?

Hack the humans !

Comme l’explique l’auteure Yuval Noah Harari, spécialiste des questions d’évolution de notre espèce, dans une interview accordée au magazine américain Wired, ces possibilités d’édition ne concernent pas que les animaux, et nous entrons désormais dans l’ère de ce qu’elle nomme « l’humain “hackable” ». C’est à dire, le résultat du croisement entre intelligence artificielle et savoir biologique, et la possibilité de concevoir des algorithmes capables de mieux nous comprendre que nous-mêmes, et donc de nous manipuler, de nous améliorer, voire à terme de nous remplacer.

Exemple concret : l’année dernière, un autre chercheur chinois, du nom de He Jiankui, a défrayé la chronique en annonçant la naissance des premiers bébés édités génétiquement(grâce à la technologie CRISPR), des jumelles augmentées du gène CCR5, offrant a priori une immunité à certaines formes du VIH, le virus responsable du sida. Et comme cette édition s’est faite au stade embryonnaire, cela signifie qu’elle se propagera sur les générations suivantes, entraînant de facto une mutation au long cours. Une expérience fortement dénoncée par la profession et les autorités scientifiques, mais qui augure également des possibilités d’amélioration de l’espèce qu’offriront dans un avenir proche ces différentes techniques d’édition du génome. Une avancée scientifique qui ne se fera pas sans une complète réévaluation de nos balises philosophiques.

Science-fiction : les ingénieurs rêvent-ils aussi de moutons électriques ?

Contrairement à une préconception assez répandue, la science-fiction n’est pas forcément toujours l’apanage des romans, films ou séries télé. Parfois, les plus jolies visions du futur, les plus avant-gardistes aussi, germent dans l’esprit d’individus qu’on pourrait sans hésiter qualifier de prescients. Au centre de cette permanente réflexion sur ce qui constituera notre quotidien de demain, la communication entre les hommes sert souvent de moteur principal, et particulièrement le désir de simplifier le flot d’informations qui circulent entre les individus. Non, la science-fiction n’est pas la chasse gardée des auteurs de romans; elle émane aussi, souvent, des esprits savants les plus brillants de notre génération. Petit florilège de documents qui, bien avant l’heure, avaient déjà rêvé nos temps modernes.

En 1961, dans un film documentaire commandé par Bell System (futur AT&T), et baptisé The Challenge of Change, le réalisateur Henry Strauss décortique les défis alors rencontrés par les entreprises. Faisant face à une croissance continue, elles luttent avec les maigres moyens de communication existants pour tenter de fluidifier leurs processus de production. Dans son film, Strauss ébauche notamment les potentielles solutions technologiques qui pourront, dans un avenir fantasmé, venir en aide à ces sociétés. À l’époque déjà, l’accès à une information centralisée se révèle être le nerf de la guerre. Pour circonvenir aux difficultés de communication dans des structures qui ont de moins en moins taille humaine, la machine apparaît alors comme la solution idéale.

Conversations de machines

Avec des outils comme le Data Phone(qui permet à deux machines d’échanger facilement des informations via une ligne téléphonique classique), Bell System a déjà un pied dans le 21e siècle. Ce qui n’empêche pas la société de rêver plus loin, et d’envisager dès le milieu des années 60 la mise sur le marché d’outils qui permettront, grâce à un combiné mélangeant audio et vidéo, de faire son shopping depuis son salon. Visionnaire !

Le 27 mars 1967, l’émission The Twenty-First Centuryde la chaîne américaine CBS imagine, dans un épisode intitulé At Home, 2001, à quoi ressemblera la maison du vingt-et-unième siècle. Et bien que le mot n’ait pas encore inventé (il ne le sera qu’une dizaine d’années plus tard, au sortir du choc pétrolier de 1978), la domotique est déjà au centre des fantasmes.

Dans cette émission d’une vingtaine de minutes, le journaliste Walter Cronkite, aidé d’ingénieurs et d’architectes, imagine à quoi ressemblera la maison des années 2000. Et si certaines spéculations s’avèrent pour le moins fantasques (comme le mobilier en papier, ou les fauteuils gonflables qu’on peut emporter partout), d’autres visent étonnamment juste.

La maison branchée

Pour Cronkite, les chaumières du futur s’articuleront autour d’une console centrale informatisée, capable de piloter tous les appareils de la maison : écran géant en 3D, chaîne hi-fi qui diffuse de la musique dans toutes les pièces, ou encore surveillance des alentours avec un circuit fermé de caméras. Les programmes de télévision seront disponibles à la demande, en fonction de l’humeur, et l’on pourra profiter d’un match de foot ou du dernier long métrage à la mode pendant que des robots passeront l’aspirateur à notre place. Des éléments qui nous semblent aujourd’hui anodins, à l’heure des TiVo, Netflix et autres Roomba, mais qui témoignaient à l’époque d’une réelle prémonition.

Qui plus est, toujours selon le journaliste, le vingt-et-unième siècle sera celui du travail à domicile. Grâce à plusieurs dispositifs mélangeant écrans et pupitres interactifs, on pourra conduire ses activités professionnelles depuis le confort de son chez-soi. Qu’il s’agisse de consulter les actualités, la météo, les cours de la bourse, ou encore de communiquer avec ses collègues via un système de visioconférence, la quantité d’informations disponibles par simple pression d’un bouton n’aura plus aucune limite. Bien avant son avènement dans nos maisons, Cronkite avait déjà imaginé qu’un jour, le Personal Computer deviendrait un élément indissociable de notre quotidien.

L’exemple le plus bluffant de futurisme avisé peut sans conteste être attribué à John Sculley, ancien CEO d’Apple, qui dans son ouvrage Odysseyparu en 1987, décrit ce qu’il appelle alors le Navigateur de Savoir(“Knowledge Navigator”, en anglais). Bien avant la popularisation des smartphones, et l’accès à Internet pour tous, Sculley explore déjà la piste des assistants personnels, et prédit qu’ils deviendront sans conteste des outils incontournables de nos vies futures.

La montagne accouche d’une Siri

Dans son livre, Sculley présente ce Navigateur comme un appareil capable d’accéder à de gigantesques bases de données, connectées en réseau, et consultables par la magie de liens interactifs qu’il baptise “cyberlinks”. Il ajoute en outre que grâce à un logiciel intelligent, capable de communiquer avec l’utilisateur en langage humain, la navigation au cœur de ces puits d’informations sera grandement simplifiée et accessible à tous.

Sans le savoir, l’homme d’affaires préfigure dès 1987 l’arrivée d’une certaine Siri, qui ne deviendra une réalité qu’une vingtaine d’années plus tard. Il invente également la notion de “documents ouverts” (“open docs” en anglais), qui faciliteront le partage d’informations en standardisant les données. Pourtant, à l’époque, la technologie pour rendre tout cela possible n’existe pas encore; ce qui n’empêche pas Sculley de rêver aux outils de demain avec une certaine perspicacité.

Comme quoi, il ne faut pas forcément s’appeler Philip K. Dick ou Asimov pour mériter le titre de “futuriste”. Si les fantasmes des auteurs de science-fiction participent incontestablement à l’avancement de notre civilisation, ils ne sont pas les seuls, loin de là. Dans la vie de tous les jours, d’anonymes ingénieurs, scientifiques, architectes, ou même simples penseurs, contribuent à dessiner avec acuité les contours de notre vie à venir. En s’autorisant à rêver, tout simplement.

Stadia : et si le projet de Google jetait les bases du premier véritable univers virtuel réaliste ?

La MatriceeXistenZSan Juniperoou encore l’OASIS: autant de mondes virtuels que la littérature, les séries télé et le cinéma nous ont invités à visiter durant ces dernières décennies. Mais dans les faits, il semble qu’on soit encore loin de voir se concrétiser ce fantasme proverbial d’un monde parallèle, fait de zéro et de un. L’archaïsme de projets comme Second Lifeou Theresemblent encore bien loin de proposer une réalité alternative digne de ce nom. Se pourrait-il néanmoins que l’arrivée prochaine de Stadia, la nouvelle plateforme de streaming de jeux vidéo annoncée par Google, constitue la première pierre d’un authentique univers cyberspatial ? Tout porte à le croire…

Depuis la nuit des temps, l’Homme a cherché à assouvir sa soif d’exploration en repoussant les limites des territoires connus. Mais après avoir découvert de nouveaux continents, de nouvelles planètes, exploré l’espace et l’Univers, sa quête d’horizons inédits s’est tout à coup heurté à un mur. Il y a près d’un siècle, en plein essor de la science-fiction, les romanciers se sont alors tournés vers une nouvelle frontière : celle des mondes virtuels.

En 1935, dans une nouvelle intitulée Pygmalion’s Spectacles, l’auteur américain Stanley G. Weinbaum décrivait le tout premier modèle fictionnel de réalité virtuelle. Dans ses écrits, l’écrivain nous présentait un univers généré de toutes pièces par la machine, monde imaginaire où tous nos sens étaient sollicités, et auquel on accédait en chaussant des lunettes spéciales. Un concept qui fera des émules : The MatrixThe Thirteenth FloorCaprica, pour n’en citer qu’une poignée, emboîteront le pas à Weinbaum, et alimenteront au fil des récits ce fantasme de plus en plus prégnant d’un monde imaginaire dans lequel l’individu pourrait librement se réinventer.

Les Dieux du Stadia

Le mardi 19 mars 2019, après plusieurs années de développement dans le plus grand secret, le géant Google annonce l’arrivée de Stadia, une nouvelle plateforme permettant de jouer à des jeux vidéo par le biais du streaming. Le projet, s’il réussit à séduire le public, pourrait à terme signifier la fin des consoles et autres machines à jouer, déplaçant nos activités ludiques dans le “cloud” et permettant d’y accéder depuis n’importe quel appareil muni d’un écran et d’un périphérique de contrôle. Pour le site Polygon.com, il ne s’agit ni plus ni moins que l’amorce d’une véritable révolution, et le chant du cygne pour le modèle actuel régissant nos loisirs pixelisés.

Et s’il l’on poussait la réflexion un cran plus loin ? À une époque où, il faut bien l’avouer, notre quotidien devient de plus en plus pesant, où le monde qui nous entoure semble animé d’une folie irrémédiable, où stress et burn-out font désormais partie de notre décor, il est normal que l’envie de s’échapper sous des cieux plus cléments, voire idylliques, soit désormais au centre de nos obsessions. Et à y regarder de plus près, il n’est pas complètement insensé de voir en Stadia, outre une révolution du “gaming”, le début d’un autre bouleversement : celui de l’arrivée imminente du premier véritable univers virtuel, dans lequel nous pourrions échapper à la morosité de nos existences terrestres et vivre une seconde vie imaginaire qui aurait tous les atours de la vraie, les tracas en moins.

Une seconde vie dans le “cloud”

S’il l’on se réfère aux spécifications techniques présentées par les ingénieurs de Mountain View lors de la conférence du 19 mars dernier, Stadiadevrait à terme pouvoir proposer pour chaque utilisateur du streaming vidéo en 8K, avec une fréquence de 120 images par seconde. En doublant ces attributs, il n’est dès lors pas interdit de rêver à une compatibilité avec les casques virtuels les plus puissants du marché, comme le Varjo VR-1, et d’envisager un rendu immersif d’un univers généré par ordinateur avec un réalisme jamais atteint.

De plus, comme toute l’activité de Stadiaest concentrée dans le “cloud”, les besoins de communication entre l’utilisateur et le système sont limités à la transmission du seul signal vidéo et des inputs des périphériques. La gestion de ce monde fabriqué pourrait donc se faire intégralement au sein des infrastructures de Google, sans coût supplémentaire côté bande passante. Un contexte qui permettrait par exemple de grandement simplifier l’évolution d’un monde virtuel centralisé, identique pour chaque utilisateur connecté. Plutôt que d’être contraints de récupérer une copie du monde virtuel en local, avec les contraintes de mises à jour, cet univers fictif pourrait être intégralement stocké à distance, sur de puissants serveurs dédiés.

La nouvelle frontière

En outre, cette concentration de données sur un serveur central autoriserait des sessions multijoueurs à des échelles jusqu’ici jamais atteintes. Oubliez les échauffourées de 100 belligérants dans Fortniteou Battlefield, on parlerait ici d’un monde partagé par des milliers, voire des millions de participants, le tout accessible à partir d’une simple tablette ou d’un banal téléphone mobile.

L’absence de transferts supplémentaires entre serveur et clients autoriserait également la genèse d’un monde littéralement sans limites, rivalisant sans forcer avec l’infini de notre Univers réel. Un écosystème de galaxies chimériques dans lequel on pourrait naviguer avec autant d’aisance que dans les recoins du web actuel. Et tout à coup, ce rêve d’un monde virtuel indissociable de la réalité semble à portée de clic.

Ce qui n’est encore aujourd’hui qu’un fantasme de la littérature et du cinéma pourrait donc, si Google choisit cette voie, devenir une réalité dans un futur relativement proche. Et telle Zoe Gaystone dans Caprica, la série télé injustement mésestimée de Ronald D. Moore, tout un chacun pourrait alors se plonger à l’envi dans une autre réalité, un V-Worldmalléable et façonnable au gré de nos envies. La réalité d’une “Second Life” est sans doute bien plus proche qu’on ne le pense. En tous cas, la technologie pour concrétiser ce fantasme centenaire est déjà à portée de main…