La fin de la parenthèse digitale enchantée

La Parenthese Enchantee
Le film francais "La Parenthèse Enchantée", de Michel Spinosa, avec Vincent Elbaz, Karin Viard, Eric Caravaca.

Avez-vous déjà entendu parler de la parenthèse enchantée ? Cette expression désigne la période qui s’est ouverte avec l’invention de la pilule contraceptive et qui a vu la révolution sexuelle transformer la société. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les femmes devenaient maîtresses de leur corps et pouvaient choisir d’avoir des enfants ou non. Synonyme d’émancipation féminine, ce changement a bouleversé le rapport au couple, aux mœurs, au travail, dans un contexte de croissance économique ininterrompue. Ensuite, l’apparition du Sida dans les années 80 et la montée du chômage ont sonné le glas de cette période d’insouciance que les « soixantehuitards » se rappellent avec nostalgie. Sur Internet, une sorte de parenthèse enchantée est également en train de se refermer.

Historiquement, tout a commencé dans les années 80 avec les balbutiements de l’informatique d’entreprise, portée principalement par IBM. On assiste aussi aux premiers pas d’Apple, qui invente la micro-informatique, et de Microsoft, à l’origine du DOS qui équipera les premiers ordinateurs personnels. Pour sa part, l’internet reste confiné à des applications militaires et à la recherche scientifique.

Dans les années 90, l’informatique commence à s’introduire dans la vie des consommateurs. Auparavant centralisée par des « mainframes », elle devient distribuée à travers le « micro-ordinateur personnel ». IBM se retrouve supplanté par Microsoft qui équipe chaque ordinateur ou presque de son système d’exploitation Windows. Mais l’industrie logicielle demande encore de lourds investissements que seuls quelques privilégiés peuvent consentir. De son côté, l’Internet demeure une affaire d’initiés, même s’il y la naissance de Netscape et du web, de même que l’arrivée des premiers assistants personnels comme le Newton et les Palm.

La décennie suivante sera celle du web. Google détrône Microsoft (dont le navigateur gratuit Internet Explorer domine pourtant le marché) et une parenthèse numérique enchantée se déploie : le web est basé sur des fondations abordables, des technologies simples à mettre en œuvre. Il s’agit d’une contrée vierge, d’un nouveau territoire sans barrière à l’entrée. Tout le monde ou presque peut créer son petit site ou lancer son service, ce qui provoque une frénésie de start-ups, avec Facebook comme succès le plus retentissant. Apple renaît progressivement de ses cendres, bien que la société de Steve Jobs n’ait pas brillé par des services en ligne spécialement disruptifs (iTools, Dot Mac, MobileMe…) durant cette période. L’explosion de la bulle des « dotcom », puis les attentats du 11 septembre 2001, ont ralenti cet engouement mais, en définitive, on a vu un formidable élan de créativité quel seul un système anarchique et décentralisé comme l’Internet pouvait engendrer.

Aujourd’hui, le paysage s’est encore modifié. Les années 2010 seront probablement celles du mobile, des Smartphones ets de la connexion permanente. Le Net est désormais balisé par des géants qui fixent leurs propres règles et imposent leurs contraintes. Google et ses multiples services règnent en maîtres sur le web. Si on veut exister sur le réseau, il faut tenir compte des algorithmes de ce moteur de recherche et de sa façon de hiérarchiser l’information. Pour sa part, Facebook est devenu le lieu de la vie quotidienne qui nourrit les relations sociales entre individus. Tout y est permis… tant que votre comportement respecte les conditions générales d’utilisation. L’anonymat y est banni. Enfin, Apple, revenu brillamment au premier plan, a développé un écosystème qui fonctionne en vase clos et qui oblige à passer sous les fourches caudines de la société lorsqu’on veut publier application ou un podcast sur l’AppStore ou sur iTunes. Bref, l’aspiration libertaire des premières heures cède le pas à un environnement plus formaté et plus prévisible, car plus codifié. C’est peut-être le prix à payer pour que les entreprises embrassent réellement les médias interactifs et rendent ainsi pérenne l’économie de l’Internet.

Bien sûr, il y aura toujours de la place pour les bricoleurs géniaux, pour les idées innovantes et pour les créateurs de startup qui ont foi en leur produit. Mais il y a fort à parier que les jeunes pousses prometteuses devront davantage se mettre dans la roue de grands acteurs pour accomplir leur ambition. Les dernières startups à succès soulignent cette tendance. Zynga ? Pur produit de l’écosystème de Facebook. Playfish ? Idem. Angry Birds ? Créature de l’AppStore. YouTube ? Rapidement tombé dans l’escarcelle de Google. Un moment particulier dans l’histoire des nouvelles technologies est donc en train de s’achever. Pour le meilleur ou pour le pire ? Réponse dans dix ans…

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